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avr 20

Mai 2011: Le jour ou j’ai largué les amarres…

Je commence une série d’articles sur la préparation de notre périple et notre formation nautique. Ce sont des flashback qui, lorsqu’on prend du recul, reconstituent aujourd’hui le puzzle de notre projet. C’est d’autant plus agréable de relire ces bons souvenirs! Bonne nav avec nous!

Minuit passé, sur un ponton sombre au port du Crouesty, après 5h de route, nous cherchons un bateau. Avec Thomas, un ami voileux qui m’accompagne pour cette échappée, nous mettons les voiles le lendemain pour Belle Ile; 3 jours à bord d’un monocoque de 10m: Al Louarn

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Nous sommes en mai 2011, 1 an que je me prépare à l’autonomie en mer. C’est un objectif ambitieux et, malgré la vingtaine de jours passés en équipage avec mon club de voile, il est évident que je ne suis pas encore prêt à me lancer dans n’importe quelle situation dans n’importe quelles conditions.
L’autonomie s’apprécie beaucoup en fonction des conditions météo de la zone de navigation et de l’équipage! Et cela tombe très bien car ce week end il fera beau, pas trop de vent, mer très calme et un itinéraire très facile entre Le Crouesty et Belle Ile. Qui plus est, mon coéquipier a une expérience des régates et un très bon sens marin!

Un séjour en mer commence toujours par un inventaire un peu fastidieux de tous les éléments du bateau.
Cet inventaire est très important pour 2 raisons: D’abord tout élément perdu ou détérioré est facturé et sur un bateau, on en casse et on en perd des choses! Autant ne pas payer pour le locataire précédent!
De plus, les bateaux ne sont pas tous organisés de la même manière et savoir où se situent les fusées de détresse ou le radeau de survie est évidemment d’un intérêt vital !
Nous faisons donc l’inventaire avec le loueur à partir de 9h et, le temps de tout parcourir, de ranger la table du petit déjeuner, faire la vaisselle, les 2 ou 3 courses manquantes, nous larguons enfin les amarres vers 11h.
La sortie de l’emplacement de port dans lequel le bateau était amarré est la première épreuve ! Cette fois pas de chef de bord du Club pour récupérer les manoeuvres ratées ou hurler des ordres au reste des coéquipiers pour protéger le bateau des chocs sur les autres bateaux ! Non, cette fois je suis à la barre et Thomas envoie à quai les dernières amarres. Moteur arrière, le bateau recule déjà dangereusement vers ses congénères du ponton d’en face. Le temps d’attente pour acquérir une place de port est de 15 ans et le marché très lucratif (sic), cela a entraîné les ports à serrer les emplacements comme… des sardines… Un coup de stress monte, je remets les gaz en avant pour freiner le bateau qui part comme une savonnette mais dans le bon sens ce qui me permet de me sortir de la panne (une panne est comme une sorte d’allée de part et d’autre de laquelle sont disposées les places.) Il faut dire que le bateau est particulièrement difficile à manœuvrer dans le port. L’explication, un peu technique, n’en est pas moins simple : Al Louarn est un bateau qui peut se « poser » sur le sol à marée basse, il est donc équipé de 2 safrans (gouvernails en langage courant) pour qu’il se pose à plat. L’hélice du moteur, elle, est située entre ces 2 safrans. Petite explication : Lorsque l’on veut faire « tourner » un bateau il y a 2 solutions : soit on lui donne de la vitesse et on oriente les safrans dans la bonne direction (c’est notamment le cas pour les petits bateau sans moteur). Il faut donc que le bateau soit déjà en mouvement.
La 2ième solution est valable sur une majorité de bateaux équipés de moteurs (voiliers habitables compris) : l’hélice est située juste derrière l’unique safran et dès que l’hélice tourne, le safran expulse immédiatement l’eau dans la bonne direction ce qui permet au bateau de tourner immédiatement.

Vous l’aurez compris, notre Al Louarn ayant 2 safrans de part et d’autre de son hélice, il faut attendre qu’il soit en mouvement avant de pouvoir tourner. Cela ne pose aucun problème lorsque le bateau a de la place mais, avec des bateaux au port amarrés à quelques dizaines de centimètres, c’est plus complexe à gérer… Nous doublons enfin les bouées du port du Crouesty en laissant la bouée rouge à droite du bateau (on dit laisser la latérale rouge à bâbord mais je vous épargne le jargon) et nous dirigeons vers des eaux plus profondes.
Pour hisser la Grand Voile, il faut mettre le bateau face au vent grâce au moteur. Ainsi, le vent n’entrave pas la course de la Grand Voile le long de son rail. Dès que la grand voile est hissée, nous pouvons arrêter le moteur, sortir le Génois (la voile à l’avant du bateau) et faire route vers l’île de Houat. Nous arrivons rapidement à l’île de Houat sous un beau soleil. Cette île est magnifique, ses eaux sont vert émeraude et sa plage de sable blanc n’a rien à envier aux plus belles plages tropicales. Nous jetons j’ancre (on dit « mouiller ») pour le déjeuner puis reprenons notre route vers Belle Ile par le Passage des Sœurs. Passé les quelques « cailloux » du passage (rien de méchant vraiment !) Nous mettrons le cap vers Belle Ile avec un vent de travers. La première partie de la traversée est agréable, le bateau file à 5/6 nœuds ce qui est une bonne moyenne mais des petits nuages noirs apparaissent à l’horizon… Le risque d’orage était décrit dans les bulletins météo, nous savions donc qu’il nous faudrait peut être en essuyer un en route. Les masses nuageuses des orages s’appellent les cumulonimbus, il s’agit de nuages en forme d’enclume très impressionnant par leur hauteur. Car en mer, la « hauteur » des nuages est parfois une donnée que l’on peut appréhender. C’est d’ailleurs une excellente méthode pour différencier un cumulus d’un cumulonimbus et de se préparer au passage de l’orage ! En mer, le maître mot c’est : ANTICIPER. Lorsqu’un grain ou un nuage d’orage arrive (cette fois nous l’avons vu au mois 5 minutes avant qu’il soit sur nous !), il faut se préparer : réduire la voilure (on « range » une petite partie de la Grand Voile pour qu’elle donne moins de puissance au bateau, on dit « prendre un ris »), s’équiper si ce n’est déjà fait : veste de ciré bien fermée, capuche, pantalon ciré étanche, harnais avec une longe attachée au bateau, gilet de sauvetage évidemment, rien qui traine dans le bateau et sur le pont qui ne puisse tomber à l’eau ou blesser l’un des équipiers. Ca y est nous sommes prêts ! Là, on se tourne vers le ciel, invectivant les nuages et les invitant à se déchaîner ! Nous sommes prêts ! Cette fois, la colère de Zeus durera à peine 5 minutes où nous passons de 12 nœuds de vent à 25 nœuds. Rien d’ingérable, nous avions correctement anticipé, le bateau est correctement « toilé » (c’est-à-dire que nous n’avons pas sorti trop de voile) et nous ne sommes pas trop ballotés. C’est tout de même impressionnant de passer d’un temps presque calme et sec à ces grosses gouttes qui vous détrempent en quelques minutes ! Nous ne sommes pas en hiver, nous sêcherons rapidement !
L’orage passé, nous scrutons le ciel à la recherche des fameux cumulonimbus car à l’instar des trains, un orage peut en cacher un autre ! Mais l’horizon dans la direction d’où vient le vent est de nouveau clair. Nous remettons la grand voile en entier et reprenons notre route, tout juste un peu plus mouillés que quelques minutes auparavant mais contents d’avoir pu affronter ce petit orage !

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Nous touchons Belle Ile vers 17h30. L’entrée au port du Palais se fait sans encombre. Nous devons nous mettre « à couple » c’est-à-dire bord à bord avec un autre bateau lui-même amarré à une bouée dans l’avant port. Le Palais a beau être un petit port Breton pittoresque et charmant, il n’est pas, à proprement parler, une escale confortable pour le navigateur. En effet, le seul endroit du port où l’on peut amarrer son bateau à la terre ferme et faire le plein d’eau et d’electricité est un bras étroit pénétrant le long de la citadelle Vauban. Outre l’éxiguïté du lieu et la difficulté des manoeuvres associée, il s’agit d’un port qui n’est ouvert qu’à marée haute 2 heures par jour. Autant dire que si vous réussissez à rentrer, à vous y amarrer, il faudra souvent attendre 24h (une des 2 marées hautes journalières tombant fréquemment la nuit) pour repasser la porte étanche et sortir du port !

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L’avant port à Belle Ile

L’amarrage à une bouée de l’avant port présente l’intérêt d’être plus facile que l’apontage mais présente l’inconvénient d’être dépendant de l’annexe du bateau. En effet, il faut gonfler un petit « zodiac » pneumatique (qu’on appelle l’Annexe) et y mettre un moteur pour pouvoir atteindre la terre ferme puisque votre bouée ne vous offre aucun accès au rivage !

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Le petit port de Belle Ile

Après un passage à terre où nous débarquons grâce à notre fameuse annexe, nous dînons à bord et profitons d’un repos nocturne bien mérité. Le lendemain, nous contournons Belle Ile par le sud, l’idée étant d’en faire quasiment le tour complet dans la journée. Alors que nous commençons le tour avec un petit vent qui nous permet de progresser avec une vitesse lente mais honorable, l’après midi, le vent tombe et nous sommes contraints de démarrer le moteur… Nous avons donc visité la côte sauvage de Belle Ile à moteur ce qui ne lui ôte aucun de ses charmes mais entame tout de même l’incroyable calme de la navigation à voiles…
La côte Sauvage de Belle Ile présente une côte en forme de plateau découpé et parsemé de rochers sculpturaux comme les célèbres Aiguilles de Port Coton qui ont inspiré Monet.
Sur la route, nous croisons Port Goulphar, une crique qui mène à un des 2 phares de la cote sauvage et qui s’ouvre entre des falaises rocheuses magnifiques au sommet desquelles est installé un manoir aux briques rouges..

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Port Goulphar

Nous arrivons alors à l’entrée de notre mouillage : une première petite plage de sable : Ster Wraz s’ouvre sur l’océan mais nous avons décidé de jeter l’ancre à Ster Ouen, une toute petite calanque donc l’entrée est située dans une faille rocheuse large d’une quinzaine de mètres à la perpendiculaire de l’accès à la plage de Ster Warz.

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A l’intérieur de Ster Ouen, quelques bateaux mouillent déjà sur leur ancre et nous décidons de nous avancer au fond de la petite passe, zone qu’autorise notre faible tirant d’eau (la hauteur d’eau dont a besoin notre bateau pour rester à flot).
Une fois l’ancre bien posée au fond, il nous faut maintenant amarrer l’autre coté du bateau à terre. C’est une manoeuvre inhabituelle sur ancre mais indispensable ici puisque le bateau peut théoriquement tourner de 360° tout autour de son point d’ancrage et qu’à Ster Ouen notre bateau rencontrerait les parois rocheuses bien avant d’avoir fait 360° !
Nous gonflons donc l’annexe pour déployer une seconde amarre reliée à la terre (un noeud autour d’un gros rocher) qui bloquera le bateau en longueur et l’empêchera d’aller jouer trop près des rochers lorsque nous dormirons…

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Se hisser sur les rochers depuis l’annexe en prenant appui sur les algues glissantes n’est pas des plus facile 😉

La soirée dans ce petit coin de nature sublime est très agréable. D’un calme monacal, seuls les chants des oiseaux qui peuplent le littoral accompagnent les derniers rayons du soleil qui laisse le petit mouillage comme un écrin idéal pour notre escale.

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Le lendemain, nous ferons malheureusement route encore beaucoup au moteur puisque le vent s’évertue à souffler bien peu et, pour couronner le tout, dans la mauvaise direction pour rentrer. Nous mettons en effet les « voiles » pour Le port du Crouesti depuis le Nord de Belle Ile et le peu de vent qui souffle encore vient exactement du Crouesti (un bateau ne peut avancer face au vent).

Après un passage au large de la sublime pointe des Poulains, nous mettons le cap sur notre port d’attache et naviguons un peu à la voile, atteignant la vitesse vertigineuse de 2 nœuds (3,7km/h !!) dont La moitié au moins due au courant qui flue dans le bon sens !.

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Ce rythme on ne peux plus calme associé à une mer d’huile nous permet de laisse le bateau entre les mains du pilote automatique et de préparer le déjeuner ! Nous sortons même la table à l’extérieur du bateau tout en naviguant ce qui vaut bien tous les barbecue d’été des pavillons de France et de Navarre 😉 Cependant, quelques heures après, nous devons nous résoudre à redémarrer le moteur, l’ordinateur du bord nous indiquant qu’à la voile nous aurions rejoint le Crouesty 24h plus tard…
Une fois le passage du Beniguet franchis, nous retrouvons le bassin de navigation de la baie de Quiberon qui ne présente plus aucun écueil.
Cette fois le vent a tourné et souffle par derrière nous. A une heure de notre point d’arrivée, rien n’est perdu pour stopper le moteur et sortir le Spi.
Le Spi est le nom d’une voile que l’on ne sort de son sac que lorsque le vent vient de l’arrière par rapport à la trajectoire du bateau. C’est une voile complexe à monter et à gérer. C’est Thomas qui s’en occupe et, après une dernière petite heure de navigation, nous finissons par voir les bouées du port du Crouesti qui apparaissent au loin.

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Le Spi est une voile légère qui se porte un peu comme un cerf volant et qui se gonfle à l’avant du bateau.

Il est temps de ranger le Spi ainsi que les autres voiles et de préparer le bateau à son amarrage au port. La manœuvre se révèle toujours aussi scabreuse lorsqu’on doit amarrer un bateau de plusieurs tonnes entre d’autres bateaux tout aussi larges !
Mais la solidarité des gens de mer faisant son œuvre, on nous aide finalement à atteindre notre point d’arrivée sans encombre !
Je termine ainsi avec Thomas mon premier week end de location sans chef de bord. Nous aurions certes aimé avoir un peu plus de vent mais au final, ce temps très calme m’a permis d’appréhender plus sereinement les choses ! Il reste du chemin à parcourir avant de pouvoir gérer pleinement tous les aspects d’une telle navigation de manière optimale mais pour une première, nous ne sommes pas mécontents de nous ! A suivre !
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